NUE / PISTE DE TRAVAIL
Parcours du je dans le cinéma expérimental  




Stephen Dowskin


Carolee Schneeman

L’autoportrait donne aux cinéastes qui s’y attèlent l’occasion de multiples expérimentations, déformations, métamorphoses et remises en cause de leur propre image. À la fois exercice tourné vers soi et motif le plus immédiat de la représentation (l’autoportrait nourrit également la peinture depuis des siècles), il permet de laisser apparaître les possibilités multiples d’un art. Les formes documentaires s’y emploient, le cinéma d’avant-garde et expérimental également.

Le cinéaste français Olivier Fouchard réalise depuis le début des années 1990 une série d’autoportraits lui permettant d’explorer, à partir d’images qu’il a filmées de lui, les possibilités dont regorgent les émulsions cinématographiques et leurs traitements chimiques. Dans Enfouissement/Fossile : effacement - disparition (2004), il dénature la matière de son image pour la rendre plus difficilement lisible. Par ce traitement cinématographique, il rend plus ambiguë sa propre représentation, et la nourrit de nouveaux éléments (physique, psychique, plastique) au travers du choix de couleurs utilisées lors du traitement des images en laboratoire (technique du virage ou de teintage) et aussi de la nature des bains chimiques utilisés. Cela donne un ton général à son film, que Fouchard définit comme un « autoportrait en décomposition automnale ».

Ce geste de variation chromatique se rapproche de ceux de certains peintres, qui proposent une interprétation de leur propre portrait, déformé, transformé, en pleine métamorphose guidée par la sensation qu’ils veulent donner de leur état intérieur (voire par exemple les autoportraits du peintre Francis Bacon). À la fois objets de recherche et croquis plastique, les autoportraits d’Olivier Fouchard expérimentent le cœur même de la plastique du cinéma. Par ce biais, il interroge le rapport narcissique qu’un artiste entretient avec sa propre image. Dans ce film, pure proposition cinématographique, la figure n’est plus si importante ; ce qui prime est le travail des possibilités chromatiques sur l’image, permettant des modifications de sa propre image. Avec sa série d’autoportraits, Olivier Fouchard travaille à la manière d’un musicien, ou d’un peintre proposant des variations sur un même thème.
De la photographie au cinéma, Man Ray n’a eu de cesse de travailler en prenant en compte les spécificités du support qu’il choisit. À partir de 1930, il réalise une série de films situés entre le cinéma amateur et le film de famille. Avec son Autoportrait (1930, dvd Les Films de Man Ray, éd. Centre Pompidou), il se joue de la profondeur, de l’air, de la vie et du corps. Placé face caméra, il fait d’elle à la fois une source d’effets visuels et une compagne de jeux. Ce film rend hommage au passage du temps, déjouant l’idée du portrait sur l’instant en questionnant à la fois la puissance quotidienne du geste et la représentation en mouvement de cette même quotidienneté.
Le cinéaste allemand Wolfgang Lehmann, au sujet de son film Selbstbildnis als Akt, Studie Nr.2, résume parfaitement ce double possible que le cinéma peut saisir : à la fois l’inspiration esthétique, et l’affection au temps et à l’usure qu’il impose : « J'aime beaucoup les signes du temps qui passe, la patine, les éraflures, la vieillesse. Ils donnent aux images des éléments de l'histoire et de l'existence. Ce sont des caractéristiques du temps irréversible. Le film est un autoportrait, dans le sens où il me représente moi-même, nu. Et c'est un portrait de mon moi, dans le sens où c'est le résultat de mon sens esthétique et de mes désirs visuels. »
Pour le « je » filmé expérimental, la question de la mise en scène du corps est centrale, dans son aridité (Stephen Dwoskin, Nelson Sullivan), dans sa sensualité (Carolee Schneemann, Nathalie Harran), dans sa quotidienneté (Jonas Mekas, Stan Brakhage), dans son identité (Joseph Morder, Yann Beauvais, Maurice Lemaître)… Des films essaisaux home movies, l’autoportrait traverse l’histoire des images cinématographiques, laissant transpirer sur les corps des perles de vie qui se consument, et renaissent à chaque projection.

S.R.